Je vous soumet, après quelques jours d'attente, le second chapitre de ma nouvelle intitulée "Un lieu connu de nous seul"... Dite-moi ce que vous en pensez, les choses qui sont bonnes ou mauvaises à vos yeux !!! La moindre faute, la moindre analyse peut m'être utile !!!
Merci à vous et à bientôt !!!!
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La seconde d’après, j’oublie complètement les trois couillons du hall, le Coca renversé sur la couette, le minuteur citron fantôme et la chaudière défectueuse.
La seconde d’après, je sens comme un bouleversement intérieur. Des gargouillis retentissent à l’intérieur de mon estomac, des renvois remontent le long de mon œsophage et ressortent bruyamment.
Mes mains enserrent mon ventre ; je grimace de douleur.
Je saute par-dessus le canapé – prenant garde à ne pas marcher sur l’édredon souillé de caféine – et cours jusqu’à la porte des toilettes. Je l’ouvre d’un coup d’épaule, pressé de plonger ma tête au fond de la cuvette et de rendre ce que j’avais avalé en guise de déjeuner, vingt minutes plus tôt.
Une fois la chose faite, je tire la chasse d’eau et appuie ma tête contre la lunette, préalablement refermée. Je demeure un long moment dans cette position, maudissant le type qui m’avait vendu cette saloperie.
Juste avant midi – à quelques rues de là –, j’ai senti quelque chose de souple et de gélatineux tomber dans mes talons : la chose hurlait à la mort. Un cri terrible et profond. Écoutant ses revendications, j’ai tout de suite sut de qui il s’agissait ( : mon estomac) et j’ai tout de suite eut le bon réflexe ( : le remplir au plus vite). Après avoir parcouru la rue en long et en large, je n’ai finalement trouvé qu’un vendeur de kebabs. Ce n’est pas le genre d’endroit que je fréquente le plus, mais je me suis dit que pour une fois, je pouvais bien faire une petite exception. J’ai demandé un kebab frites sans oignon ni piment et j’ai attendu patiemment que ma commande arrive.
La bouffe épicée me donne de grosses bouffées de chaleur et je vomis tripes et boyaux pendant une semaine. Au total : je perds deux kilos. N’étant au départ pas très épais, je ne vous dirais pas à quoi je peux ressembler dans ces moments-là.
Il faisait froid à pierre fendre et le type dans sa caravane se tordait de rire avec la fille qui plongeait les frites. J’vous jure, il se marrait tellement fort et sa bouche était si grande que l’on en savait autant que son dentiste sur l’état de ses abcès ; si jamais il en consultait un.
J’ai esquissé un sourire en les entendant baragouiner dans leur caravane cuisine.
« Putain ! J’crois que si mon Lee Cooper était équipé d’un thermomètre, il avoisinerait les moins cent dix », ais-je murmuré.
Emmitouflé dans ma fine veste d’été – on frisait les six ou sept degrés tout au plus – j’ai sorti un billet de cinq euros de mon portefeuille lorsque le type a hurlé (en roulant les « r ») : kebab frites, pas oignons, pas piments.
En échange, il m’a tendu un sachet, ma monnaie et m’a gratifié d’un « et voilà, chef ! ». Je ne l’avais jamais vu de ma vie et il se permettait des familiarités ; peut-être essayait-il d’être aimable.
Conneries !
Qui vous dit que les tranches de viandes sont véritablement de l’agneau. C’est du chien, si ça se trouve. Ou son pote Aziz qui lui doit un paquet d’oseilles. En plus, il les découpe avec une sorte de tondeuse à cheveux. Pas très catholique tout ça !
Qui vous dit que la sauce maison n’est pas le résultat du câlin crapuleux avec celle qui s’occupe du bac à friture. La consistance est douteuse et il y a parfois des grumeaux qui traînent ici et là.
La faim cognait contre mon estomac avec tant de détermination et de rage que je me suis résigné à avaler le contenu du sachet. Quelques minutes plus tard – après avoir traversé deux passages cloutés et aperçu la même estafette de police faire cinq fois le tour du pâté de maison – j’ai éprouvé de curieux ballonnements et d’affreux tiraillements intestinaux. Je n’ai rien dit parce que je ne voulais pas paraître chiant dès la première page mais je souffrais le martyr.
Je fais couler un peu d’eau dans l’évier et m’en asperge le visage.
Mon teint est clair, presque cadavérique. Mes yeux sont injectés de sang. De la bile me coule encore dans la gorge. Quel goût infecte !
L’image que me renvoie la glace fixée au-dessus du lavabo ne me plaît pas. Je me trouve à vomir (tiens, ce n’est pas ce que je viens de faire ?). De toutes façons, qui se trouve bien dans ses pompes de nos jours ?
Ma main gauche passe sur mon crâne.
Je me suis rasé la tête l’avant-veille. J’ai l’allure type d’un collabo durant la deuxième guerre mondiale après avoir été lui-même dénoncé : plus un poil sur le caillou, la mine déconfite et le moral dans les chaussettes. Leur moral était au plus bas après la Libération, j’entends bien.
Aïe !
Mon pouce.
Il m’est sorti de la tête. Simplement mauve et gonflé avant l’incident de la chaudière, il est maintenant bleu foncé (tire vers le noir) et son volume a doublé. Je le soignerais un peu plus tard dans l’après-midi.
C’est tout moi ça ! Toujours des soucis et jamais de solutions. Les problèmes s’accumulent. Je les laisse de côté, prétextant que je m’en occuperais plus tard et paf ! En voilà un autre. Puis un autre et encore un autre. Bref, ça ne finit jamais. Y’a des jours, j’me collerais bien une étiquette sur le front qui dirait : « mec à problèmes ».
De quoi se balancer au bout d’une corde et en finir une bonne fois.
Soudain, une idée me traverse l’esprit : je dois me changer les idées. Sortir. De l’air. Ouais, de l’air. J’vais prendre un bol d’air. Faut que je m’aère la tête.
Je m’approche de la seule ouverture de la pièce – un hublot dont la peinture craque et tombe en miettes – et agrippe la poignée. Ce dernier refuse de s’ouvrir. J’essaie avec le peu de force qui me reste mais n’y arrive quand même pas.
J’attrape un vieux gant de toilette sec et puant et tente de décoincer le hublot. Résultat : la clenche cède dans un craquement sourd et reste dans le creux de ma main droite.
Je pose l’objet sur l’évier et, du bout du coude, frotte la vitre. Les contours sont usés. La fenêtre est si sale que cela me rappelle le jour où j’avais essayé les lunettes de mon oncle Francis. Une partie de rigolade mémorable. Le slip de mes douze ans s’en souvient encore. Les verres ressemblaient à des loupes et le front de mon oncle était si gras que les carreaux s’opacifiaient avec le temps.
« À quoi bon s’acharner, pensais-je, désespéré ».
Je coupe le robinet, sort de la pièce et ferme la porte.
Quelques pas seulement me séparent du canapé crème. Il semble cependant si loin. Mes jambes flagellent : elles ne me porteront bientôt plus. Une journée merdique de plus dans mon grand carnet des journées merdiques.
Je peux tout aussi bien me vautrer sur le sofa et attendre que ça passe. Après tout, je n’ai pas de liste qui m’ordonne quoi que ce soit aujourd’hui. On peut voir la situation comme un premier contact avec les lieux. Déterminant les bonnes et les mauvaises vibrations. Savoir ce que je dois faire et ce que je ne dois pas faire. Il faut être franc jusqu’ici le courant ne passe pas si bien que ça. Mais ce n’est peut-être que passager.
« Et ton bol d’air ? me susurre une voix à l’oreille. Il ne va pas se prendre tout seul. Tu rêves ou quoi ? ».
J’avais une sainte horreur de cette voix.
Elle disait toujours ce que je ne voulais pas entendre.
Tout le temps.
Tu devrais repasser ton bac !
Tu te porterais certainement mieux en faisant un peu plus d’exercice !
Tes parents seraient si fiers de toi en sachant que tu as enfin trouvé un travail convenable.
Je tranche : le canapé est bien plus proche de moi que la baie vitrée. Le bol d’air peut attendre.
Au prix de quelques pas boitillants, je m’effondre sur le sofa puis fixe un point quelconque de la pièce ; n’importe lequel. Ça m’arrive lorsque mon esprit s’évade et que je ne pense plus à rien.
Sans réellement en prendre conscience, je regarde ce petit cadre accroché juste au-dessus du téléviseur couleur. Allez donc savoir pourquoi Sig l’a fichu là ! Un petit cadre en bois, tout ce qu’il y a de plus banal, accroché pile au centre des deux baies vitrées et à exactement dix centimètres du sommet de la télé.
Pourquoi me suis-je focalisé sur ce cadre ?
Surtout qu’il y en a accroché sur tous les autres murs de la pièce.
Alors pourquoi celui-là ?
Ch’ais pas !
Je ne cesse de le contempler. Mon regard est comme figé. Toute mon attention est fixée sur lui ; ou sur le cliché qu’il contient.
Je ne sais plus exactement quand la photo avait été prise – était-ce un vendredi ou un samedi soir ? – mais je crois me souvenir qu’il s’agissait d’une soirée entre vieux copains. Nous avions été convié, dix ans après la fin de notre CM2, à une sorte de « soirée du souvenir », Sig et moi. Je pense même que notre instit était de la partie : monsieur ANTON. Je me suis toujours souvenu du nom de tous mes professeurs ; que ce soit en maternelle, au collège ou au lycée. Par contre, eux ne m’avaient pas vraiment oublié puisqu’ils ne savaient pas vraiment qui j’étais.
Ce soir-là, Sig était plein comme une outre – comment aurait-il pu en être autrement ? – et tout le monde, absolument tout le monde, lui posait des questions.
Qu’est-ce que tu deviens ?
Tu fais quoi dans la vie ?
Ah bon ? C’est pas croyable ! Mon beau-frère bosse juste à côté de la poste ! Non, non ! Sans rire.
Et bla, bla, bla !
Il n’y en avait que pour lui.
Quant à moi, personne, absolument personne ne m’a demandé si j’allais bien, si j’avais rencontré une belle brune à lunettes ou si je créchais toujours chez mes vieux. Personne. Pas même le prof ! Ah, si ! Si, je dois bien avouer qu’il m’a adressé la parole. Il m’a demandé comment allait mon petit frère et s’il voulait toujours devenir écrivain. En réalité, c’est moi qui désirais embrasser cette voie. Pas lui.
« Pourquoi faire tant de vagues ?, grommelle la petite voix. Tout ça c’est passé. Tu te fais du mauvais sang pour pas grand-chose. »
Pas grand-chose ?
Je me suis emmerdé à mourir pendant plus de six heures, tout de même. Six heures où je n’ai qu’entendu : « arrête Sig, tu déconnes ? T’as pas fait ça ? J’te crois pas ! Caro ! Caro ! Viens voir, s’il te plaît. Sig a une folle histoire à te raconter ».
J’adore mon ami. Sig est un type extra. Mais entendre ses exploits six heures d’affilées alors que je pourrais très bien raconter ce que j’ai accompli comme non-exploit depuis la fin de mon CM2, ça ma rend malade.
J’avais de quoi me foutre en rogne.
De quoi me tirer en beuglant sans que personne ne remarque quoi que ce soit.
Mais j’ai préféré rester et respecter mon ami.
Lui qui ne m’a jamais quitté.
Lui qui m’a comprit pendant toutes ces années.
Vers deux heures et quart, quand le patron nous a demandé de sortir, on s’est tous réuni à l’extérieur, décidant de l’endroit où finir la soirée en beauté : la boîte du centre ou le café en face du parking de la République.
On habitait la même ville depuis que nous étions tout gosse. On se croisait dans la rue les mercredi après-midi. On avait tous la même trogne, personne n’avait changé ne serait-ce d’un iota.
Je restais à l’écart du groupe – repensant aux pires heures que j’avais passé depuis un sacré bout de temps – quand Sig s’est approché de moi, a écrasé son mégot et m’a chuchoté à l’oreille : « T’en fais pas, va ! Tout ça c’est que d’la foutaise. Ces cons s’imaginent que ce qu’ils me racontaient était intéressant. J’ai simplement rendu leur vie un peu plus heureuse rien qu’une soirée. Une soirée dans toute leur putain de vie ! Alors qu’on est inséparable toi et moi. Jamais rien ne pourra nous séparer. On est deux contre le reste du Monde ! Deux contre eux tous ! ».
Lorsqu’il eu terminé de me remonter le moral, Caro traînait par-là, fumant sa clope et roulant des yeux. Sig lui a sorti une vanne de fesse (Caro était du genre nympho et vicieuse : tout ce qui touchait aux culs, aux nichons, à la chatte l’intéressait au plus haut point) et lui a demandé en souriant si elle ne pouvait pas nous prendre en photo.
Elle s’est tournée vers nous et à dit, la bouche pleine de fumée : « Attends, tu veux que j’appelle Fred et Sam pour qu’ils posent avec toi ? C’est triste d’être seul sur une photo ».
Sig n’a rien répondu et Caro a fait la photo.
Après le flash, j’ai lu l’embarras, la haine et la tristesse dans les yeux de mon ami.
Puis tout est revenu à la normal.
Drrrrîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîînnnnggg !!!!!!!!!
Le cercle de brume qui entoure mes souvenirs se dissipe puis disparaît.
Je suis revenu sur ce bon vieux canapé beige, le ventre noué, les yeux larmoyants et le front chaud.
Ma tête repose sur l’accoudoir. J’observe le plafond. Un plafond couleur ocre, traversé par quelques poutres vermoulues.
« Sig ne m’a jamais parlé de cette fissure au plafond, m’écriais-je, pensif. »
La fêlure doit bien faire vingt, vingt-cinq centimètres de long et pas plus d’un millimètre de large. Tout ça n’est rien de plus qu’une simple estimation. Je ne suis pas géomètre. Je n’ai pas de compas dans l’œil. Après tout ce n’est probablement rien : l’ombre d’une toile d’araignée, l’ombre d’une antenne télévisuelle ou l’ombre d’un doigt. Oui, le doigt du petit garçon du quatrième. Un gamin un peu trop curieux, fan de séries policières, qui s’était mis en tête d’élucider le mystère du moineau de la vieille Camille, la vieille grincheuse du second. Malheureusement le froid est venu à bout de l’une de ces escapades et il s’est retrouvé coincé sur le toit de l’immeuble. Deux jours plus tard, le concierge a retrouvé le corps du pauvre enfant totalement figé et gelé alors qu’il sondait le toit à la recherche de failles.
C’est tout de même dingue : en partant de ce qui semble être une fissure dans le plafond, j’arrive à concevoir une ébauche d’histoire. Peut-être même qu’en la travaillant un peu, je pourrais en tirer une nouvelle et peut-être même un roman.
De quoi me rendre riche à millions. Je pourrais enfin me payer le manoir dont je rêve tant et mener la vie de château. Si un truc comme ça m’arrive, mes parents me lâcheront sûrement la grappe avec cette histoire de job et je pourrais vivre comme j’en ai envie ; du moins jusqu’à mon prochain best-seller.
Je me fais trop de film. Quand je pense que je perds mon temps dans ce foutu appart alors que je pourrais exercer mon talent de romancier. Comme quoi, chaque génération comporte son lot d’auteurs maudits et incompris.
Drrrrîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîînnnnggg !!!!!!!!!
J’attends un long moment avant de lever la tête et de me rendre compte que le téléphone sonne. La sonnerie est lointaine, quasi inaudible. Je la laisse retentir. Je n’ai aucune envie d’aller répondre.
« Tu devrais quand même décrocher, murmure sournoisement la petite voix. C’est peut-être important, ajoute-t-elle. »
Merde !
Merde au p’tits cons du hall !
Merde à la canette de Coke !
Merde au minuteur !
Merde à la chaudière !
Merde au monde !
Merde à tout !