MARKANDAR
Episode 2 : Problèmes temporels
Périgord (France) : Eté 1996
On entendait Simon rire depuis la véranda ou du moins ce que l’on pouvait appeler une véranda car dans les villages périgourdins, les vérandas et l’architecture médiévale ne font pas bon ménage. Mais autant cette architecture ne convenait pas pour la construction d’une véranda, autant elle plaisait aux enfants qui y passaient leurs vacances. Simon venait là tous les ans. Cette grande maison où il venait loger chaque été était la propriété de son grand-père et la maison d’à côté était celle de son grand-oncle. Ces maisons formaient ensemble une petite cour qui était fort convoitée par les enfants. Chaque année, Simon retrouvait des cousins (parfois très éloignés) qu’il n’avait plus vus depuis une éternité. Le moins que l’on puisse dire est qu’il s’amusait terriblement. A un point où il se dépêchait de terminer ses repas pour rejoindre les autres qui commençaient déjà à jouer. Ce qui lui valait un mal de ventre assez douloureux pour un gosse de dix ans.
- Hé, Simon, tu te dépêches ? demandaient ses cousins de la maison d’à côté. Les enfants de cette époque étaient encore assez polis. Les « tu te dépêches » ont laissé actuellement leur place à « qu’est-ce tu branles ? ». Ceci est un des inconvénients du nouveau millénaire. Les petits veulent faire comme les grands. C’est à ça que ressemble la nouvelle tendance. Mais durant l’été 1996, on en était pas encore là, ce n’était que le début, le début de tout…
12h40
Simon sortait de la cuisine et rejoignait ses compagnons de jeux :
- Oui, c’est bon, j’arrive !
- Bah il est temps car on allait commencer sans toi, c’est pas qu’on peut se passer de toi mais presque.
Celui qui venait de lâcher cette phrase n’était autre que Jules (prénom dont il a souffert pendant pas mal de temps). Agé de douze ans, on pouvait dire qu’il se la jouait dur. Dans un groupe, le plus âgé est immunisé contre tout. C’était son cas ; la plupart du temps, il le passait à malmener les plus jeunes de la bande. Simon avait un soir eu une drôle de pensée pour son âge à son sujet. Il s’était dit que Jules ne demeurerait pas longtemps vivant. On dit souvent que la vérité sort de la bouche des enfants, mais sort-elle aussi de leur pensée ? Après tout, Simon n’en avait parlé à personne, il n’y avait donc pas de raison d’y croire. Simon était une personne que l’on peut qualifiée de rationnelle. Il avait cessé de croire au Père Noël assez jeune et depuis, personne ne pouvait lui faire avaler n’importe quelle idée illogique.
13h02
- Prêts ? GO !!!
Une nouvelle partie de mini-foot avait débutée. Comme à chaque fois, les équipes furent inégales. Simon, Lola et Cécile contre Jules et Romain. Le fait que l’équipe de Simon était composée de trois joueurs ne signifiait en rien qu’ils avaient plus de chance de victoire car la maladresse de Simon et l’inattention des filles qui pensaient plus à bavarder à propos du dernier épisode de la nouvelle série pour jeunes adolescentes n’augmentaient pas leurs chances face à Jules et Romain qui pratiquaient ce sport en club. Mais aujourd’hui, cela ne se passa pas comme prévu. D’ailleurs rien ne c’était passé comme prévu. Simon et son équipe furent comblés par la chance comme une certaine grande équipe le sera deux ans plus tard à une certaine coupe du monde…
13h37
La partie était terminée et les participants étaient épuisés et après une longue discussion (et beaucoup de mauvaise foi), la bande réfléchissait sur la suite de leurs activités…
16h48
Cécile pleurait à chaudes larmes. Lola vint la réconforter, lui promit que tout allait s’arranger et tout le baratin qu’on dit lorsqu’on veut réfléchir un minimum de cinq minutes sans quelqu’un qui panique à côté. Mais que c’était-il passé ?
- La nuit ne va pas tarder à tomber, rapprochons-nous, il va commencer à faire froid, répliqua Simon.
Il se posait pas mal de questions. La plus importante d’entre-elles, celle qui l’inquiétait le plus était de savoir combien de temps il fallait attendre le « renouveau ». Au début, cela avait pris dix minutes à peine ou une demi-heure maximum. Mais là, ils étaient restés là sans bouger, à discuter, à trouver une solution. Une solution qu’ils se devaient de découvrir par eux-mêmes. Ou bien il fallait retrouver contact avec le monde extérieur mais ils avaient tout essayé jusqu’alors. Simon le savait. Il était le plus apte à sortir tout le monde de ce pétrin. A sortir tout le monde de cette maudite ruelle. Sur les murs étaient gravés des inscriptions, le plus souvent des injures ou des mots d’amour. Mais le regard de Simon se fixa subitement sur quelques mots dont le sens n’avait aucune ressemblance avec les autres inscriptions :
« Ce lieu est chronos, tout le monde y est passé, ou y passera. Les messages s’effacent au fil du temps. Mais si le temps ne s’écoule plus pour vous de la même façon, écrivez pour que le sablier se débloque ! »
- Regardez les gars, cette inscription a tout l’air de parler directement de notre problème, remarqua Simon
- Ben t’attends quoi alors ? Si le fait d’écrire peut nous sortir de là, écris putain ! hurla Romain au bord du désespoir.
- Mais c’est insensé !
- Ecoutes, plus rien ne semble doté de sens maintenant, écris et on verra ce qu’il se passera, à moins que tu vois une autre issue.
- Non, j’en vois pas mais nous ne pouvons écrire tout de même.
- C’est bon je vais le faire moi-même.
Romain se pencha et attrapa une pierre de la grosseur d’une balle de ping-pong. Il s’approcha du mur. Les yeux de Simon s’écarquillèrent et dans un élan de folie, bondit sur Romain et le claqua à terre. D’ordinaire Simon n’aurait jamais eu la force d’accomplir ce qu’il venait de faire.
- Mais tu es fou ? Qu’est-ce que te prend ? Avoue que tu veux crever ici, que tu te plairais à vivre indéfiniment ensemble et surtout avec Lola. Tu crois que j’ai pas compris ? Mais moi, je veux m’en sortir, cria Romain.
Il reprit son souffle, puis ajouta d’un ton plus calme :
- De toute façon, on a plus rien à manger.
- Ecoutes Romain, on ne peut pas écrire maintenant, relis attentivement l’inscription : « Ecrivez pour que le sablier se débloque ». Si on écrit, on parviendra peut-être à sortir de ce trou à rats. Il est indiqué que le sablier se débloquera mais ça ne veut pas dire que l’on retournera dans le passé. Il faut attendre Romain, attendre le Renouveau car on ne peut pas le laisser comme ça, tu comprends ?
Romain comprit. Il jeta un regard en direction des filles. Elles pleuraient toutes les deux désormais. Il regarda à nouveau Simon qui reprenait sa respiration. Il ferma alors les yeux, tourna la tête vers la gauche en direction de Jules. Il rouvrit les yeux. Jules était toujours à sa place, sans mouvement et sans vie…
(à suivre…)