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 Morris

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Johnny Marinville
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Johnny Marinville


Nombre de messages : 4
Date d'inscription : 11/09/2007

Morris Empty
MessageSujet: Morris   Morris EmptyMer 12 Sep 2007 - 21:54

Morris


Il était très exactement six heures et vingt-huit minutes lorsque Morris Bannerman franchit la porte du hall d’entrée du nouvel immeuble flambant neuf de Boulder, Colorado. Morris n’était pas peu fier d’être aussi ponctuel. Aussi loin que sa mémoire pouvait le porter, Morris avait toujours été à l’heure. Partout. Sa montre seiko chronograph, sa partenaire de solitude, sa confidente, était toujours là pour le lui rappeler.
Morris franchit les huit étages le séparant de la porte donnant accès au toit aussi vite que l’autorisèrent ses cent trente kilos. L’ouverture de la porte verrouillée ne fut qu’une simple formalité et Morris fut accueilli sur le toit désert par une douce brise de juin. L’été allait une fois de plus être assommant, l’air conditionné de son deux-pièces miteux serait comme toujours en panne et Morris transpirerait, seul, assis dans son fauteuil défoncé, regardant son poste de télévision noir et blanc (acheté d’occasion) diffusant une de leur émission de télé-réalité dont les gens raffolaient tant ces derniers temps.
Morris savait que lui aussi passerait bientôt à la télévision. Pas dans une de ces émissions insultantes pour ceux qui payaient une redevance, non, non, Morris allait passer dans le journal télévisé. Celui de 18 heures. Celui qui faisait tellement d’audience. Seulement dans un journal ? Non. Dans tous les journaux d’information, et tout le monde saurait enfin qui est Morris Bannerman, saurait enfin qu’il n’est ni un raté, ni un crétin.
Peu de bruit de circulation parvenait sur la terrasse, l’heure était encore matinale pour une ville comme Boulder. Les crissements des pas de Morris sur les gravillons du toit avait quelque chose de rassurant. Le destin en marche, oui, c’est tout à fait ça, je suis le destin en marche pensa Morris. Cela le fit sourire, lui qui ne souriait plus depuis longtemps. Il arriva au muret nord du toit, là où se dressait un massif conduit de cheminée en brique, et déposa avec précaution son grand sac de sport contre celui-ci. Morris sortit son mouchoir et essuya ses lunettes. Des lunettes bon marché, affreuses, mais qui pour lui était déjà un luxe prohibitif. On ne peux même plus se payer des lunettes, on a même plus le droit d’y voir… Cette pensée lui donna la nausée, la colère revenait. Non, shhhh, calme-toi, ne cède pas à la colère, calme-toi… Tu es le destin en marche.
Neuf heures trente minutes. Morris décida de se lever pour se dégourdir un peu les jambes et observer la rue quelques instants. Peu de monde encore à cette heure, les commerces commençaient seulement à ouvrir leurs portes. Le fleuriste, à l’angle de l’avenue sortait sa marchandise, disposait les pots et les bouquets en un tableau impressionniste. Le fleuriste était doué, remarqua Morris, l’agencement des fleurs était superbe vu du toit. Morris aimait les fleurs mais n’en avait jamais acheté. Il n’avait jamais eu quelqu’un à qui en offrir. Et c’était bien trop triste d’en acheter pour soi-même. Le vendeur de kebab mis en route ses grills et Morris cru sentir la douce odeur de viande lui monter aux narines. Il saliva. Le double cheeseburger qu’il avait ingurgité pour le petit déjeuner lui sauta dans le ventre. Peut-être avait-il le temps de descendre s’acheter un kebab ? Qu’est-ce qui l’en empêchait ? Personne ne le remarquerait puisque personne ne le regardait jamais. Un merveilleux kebab, avec sa sauce blanche, ses oignons délicieux, ses frites succulentes… L’espace d’une seconde, Morris oublia totalement la raison qui l’avait fait gravir de si bonne heure les huit étages du nouvel immeuble du centre-ville de Boulder. La fierté du maire et de son équipe. Ce pourquoi le vieux singe serait réélu à coup sûr dans six mois. L’espace d’une seconde seulement, car les yeux de Morris se posèrent sur le grand sac de sport qui attendait, sagement, que son propriétaire accomplisse son œuvre.
Décidé, Morris abandonna le vendeur de kebab à son sort et compta les passants : six. Quatre femmes et deux hommes. D’ici trois heures ils seraient beaucoup plus, et à ce moment seulement cela deviendrait beau. Morris savourait l’attente qui le séparait de la grandeur. « La chance sourit aux audacieux » comme le disait le vieil adage.
Morris sortit le fusil.
C’était un excellent modèle. Terriblement efficace. Totalement mortel. Morris avait tout sacrifié pour pouvoir se le payer. Mais cela en valait le coût. Le résultat serait à la hauteur de la peine, de toutes ces années terribles, de cette vie minable.
Le fusil brillait au soleil et plus encore dans les yeux de Morris. Il le soupesa un instant, l’observa comme le ferait un enfant admirant son jouet au pied d’un sapin de Noël. Qu’il est beau ce fusil ! C’est le fusil d’un dieu !
Les mains tremblantes d’émotion, Morris mis soigneusement le fusil en position de tir, la crosse bien calée contre son épaule. Il regarda a travers la lunette de visée. C’était parfait.
Morris enfoui soudain la main dans sa poche et en sorti un mouchoir qu’il déposa sur les gravillons du toit. Avec un infini respect, il posa ensuite le fusil de telle manière que la crosse reposât sur le mouchoir, à l’abri de la moindre salissure. Morris replongea les mains dans son grand sac de sport et fit apparaître une boîte de cartouche. Une grande, rouge comme le sang.
Morris était un brillant informaticien, confiné aux tâches les plus ingrates, reclus dans un bureau minuscule. Si certains avaient raté l’ascenseur social, Morris, lui, était même tombé dans la cage, s’écrasant bien des étages plus bas. Mais de tout cela il n’en avait cure. Bientôt tout ça ne serait plus rien.
Fier de son plan, il savoura un instant sa gloire prochaine. Commandé sur un site internet, le fusil était parfait. Commandées sur un autre site internet (Morris était du genre méfiant) les cartouches trônaient sur le sac de sport.

Dix heures pile. Morris repassa la tête au-dessus du muret. La rue commençais à vraiment s’animer. Il remarqua aussitôt la camionnette blanche toute neuve de la municipalité. Les employés étaient en train d’installer l’estrade et le pupitre où le maire ferait bientôt son discours.
Morris se laissa lourdement retomber contre le muret, se sentant soudain épuisé. Allait-il craquer ? Il ferma les yeux très fort, se concentrant, se motivant. Non, il ne craquerait pas. Morris garda tout de même les yeux fermés.

Onze heures quinze minutes. Morris revenait vers le muret après avoir vérifié que la porte du toit était bien déverrouillée. Il ne voulait pas se retrouver piégé sur ce toit lorsqu’il aurait à partir le plus vite possible, ce qui, pour lui, serait la pire épreuve imaginable. Le tumulte de la rue était maintenant complet, la foule commençant à se regrouper pour écouter le discours de son premier magistrat. A chaque extrémité de la rue, une voiture de police bloquait la circulation, ordonnant aux automobilistes de prendre les rues suivantes, si bien que les gens formaient un groupe compact, remplissant la rue dans toute sa largeur.
Morris commença ses exercices de respiration, comme il l’avait appris grâce à ce site internet. Il devait être parfaitement calme, concentré. N’avoir qu’une seule idée en tête, entièrement tourné vers son objectif. Ainsi il deviendrait une lame, une lame si fine et si tranchante que rien ne pourrait l’écarter de sa cible. Tout le reste n’était plus qu’automatismes et réflexes. Il s’était bien entraîné.
Morris continua sagement ses exercices.

Treize heures. Morris se redressa et jeta un coup d’œil dans la rue. Le Maire n’était pas en retard. Avec une concentration infinie, Morris se saisit de son arme et pris une cartouche dans la boîte. Le Maire débutait son discours, Morris pouvait l’entendre du toit.
La cartouche semblait ne pas vouloir entrer dans la chambre du fusil. Une goutte de sueur apparue aussitôt sur la tempe de Morris. Il respira profondément. La cartouche résistait. Morris forçait. Allez ! Allez ! Enclenche-toi saloperie !
Soudain la cartouche entra dans la chambre du fusil. Avec peine, Morris parvint tout de même à refermer le fusil. Bien. Le maire parlait toujours, souriant, semblant regarder tout le monde, comme s’il s’adressait à chaque personne en particulier.
Morris épaula et visa. Le Maire apparu dans la lunette de visée. Sa tête parfaitement centrée dans les trois cercles concentriques permettant de faire mouche sans risque. Morris pris en grande inspiration et posa son doigt sur la détente. Plus rien ne pouvait le distraire. Plus rien ne pouvait lui faire manquer sa cible. Le Maire, tout sourire, ouvris la bouche. Morris appuya sur la détente.

Les trois quarts de la tête de Morris furent arrachés lorsque le fusil explosa. Il s’effondra, mort, dispersant les graviers autour de lui.
Dans la rue, la détonation avait mis l’équipe de sécurité en alerte et en quelques instant le Maire fut entraîné dans le bâtiment sécurisé derrière le podium. Il ne risquait plus rien.

Le lieutenant Tom Wooley poussa la porte d’accès au toit et remarqua immédiatement le corps inerte près du muret. Accompagné de son adjoint l’inspecteur Donner, il s’approcha tranquillement.
Le corps que Wooley observait n’était pas identifiable. Il ne restait quasiment rien du visage.
– Qu’est qui c’est passé ici, dit Donner, un suicide ?
Wooley s’agenouilla près de la dépouille.
– Non, je ne crois pas.
Il enfila des gants de chirurgien et pris le fusil.
– La chambre du fusil a explosé, poursuivait Wooley, c’est ce qui l’a tué.
– Hein ? Tu parles d’une connerie, ce type devait avoir une sacrée poisse.
– C’est pas de la poisse ça. Ce crétin à certainement chargé son fusil avec une… tiens, regarde !
Il pris la boite de cartouche. Il ne pu réprimer un petit rire cynique.
– Voilà pourquoi le fusil a explosé. Ces cartouches ne vont pas avec ce modèle. C’est pas possible d’être aussi...
– Tant mieux pour le Maire, non ?
– Ouais… Tant mieux pour lui.

Déjà, en bas, les gens reprenaient le cours normal de leur vie.
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