SUR L'ÉCRITURE
Journal : Vos deux modèles d'écriture sont très distincts. Votre évolution des personnages est tellement bien réfléchie. Ce sont également deux manières d’écrire complètement différentes.
Stephen, dans votre livre "Ecriture," vous dites que vous ne connaissez pas la fin d'une histoire quand vous commencez ; et que vous ne devriez pas connaître la fin lorsque vous commencez. John, votre style d'écriture est de commencer depuis la fin, et puis d’écrire le début.
Comment décririez-vous les changements dans vos styles au cours des années, tout en gardant le même style caractéristique bien connu ? Avez-vous senti votre personnalité d'écriture changer, en prenant de l’âge, au cours des différentes étapes de votre vie ?
Stephen : Je pense que je prends plus de soin maintenant qu’auparavant. C’est si facile en regard des outils, mais je suis devenu très méfiant à l’égard de la technologie : l'unité de traitement de texte, les ordinateurs dans mon métier le rendent facile pour les personnes qui ont tendance à se disperser. Les gens ont tendance à voir cela de l'extérieur, il y a des changements, et peut-être vous seulement changez autant. Peut-être avez vous juste atteint le point que vous espériez atteindre.
John : Je pense que je fais plus attention, aussi. J'ai toujours été un rédacteur, mais je pense davantage aux moyens de révision à chaque livre que j'écris. Je pense que j'apprends plus d'eux la manière de changer un roman de ce qu'il était dans la première ébauche. Je sens que je vieillis, ce que je retient c’est que j'avais l'habitude de penser que je choisissais le sujet sur lequel j’écris , mais j’ai l’impression que c’est le sujet qui m'a choisi.
Stephen : Exactement.
John : Je ressens une obsession. Je suis obsédé par quelque chose, et le livre devient quelque chose que je ne peux arrêter d’écrire. L'idée que j'ai réellement le libre choix en la matière est une sorte de… Je ne pense plus comme cela. Je reconnais qu'il y a une continuité dans mes obsessions, que les choses sur lesquelles j'écris au sens large sont répétées.
Steve et moi avons une amitié et une correspondance dans lesquelles nous voyons les choses dans un certain noir/gris. S'il y a quelque chose qui est semblable au sujet de notre écriture, c'est que nous devons probablement savoir ce qui dérange dans l’histoire avant que nous considérions qu'elle est intéressante à écrire. Si elle ne trouble personne, pourquoi l’écrire ? Pourquoi l’écrire, si elle ne tape pas sur les nerfs de quelqu'un ?
Nous pouvons nous y prendre de différentes façons, mais je pense que nous serions d’accord pour dire que nos raisons d’écrire de la fiction sont de toucher les gens émotionnellement et psychologiquement, pas intellectuellement. Vous ne pouvez pas écrire des romans aussi longs que la plupart de ceux de Steve et la plupart des miens, si l'histoire n'est pas meilleure à la page 400 qu'elle n’était à la page 40. Il doit y avoir quelque chose. . . un élan. Vous ne pouvez pas maintenir les lecteurs impliqués dans de longs romans s'il n'y a pas quelque chose dans ceux-ci qui continue à fasciner le lecteur. Un lecteur doit vouloir savoir ce qui va se passer, n’est-ce pas ?
Stephen : Oui. Il doit se lever et courir en plein milieu de la nuit - il doit vraiment le faire.
Journal : Vous avez tous les deux écrit de longs romans, mais pour les fans, ils n’ont pas été trop perçus. Les critiques tendent à les voir en tant que tels, les jugent au poids et les appellent des pavés. Les fans voient ces romans au même niveau que l'auteur ; ils s’empressent de lire le livre une fois que l'auteur les y introduit, et ils sont emballés par le roman.
Stephen : Une chose que j’aimerai voir se faire serait une analyse par ordinateur sur cette corrélation. J’aimerais voir la critique de, disons 2.000 romans, entrée dans un ordinateur et les corréler en termes de longueur de ces romans. Je suis sûr vous trouveriez que plus le roman est long, plus la critique globale de ces livres tend à être mauvaise.
John : Absolument.
Stephen : Mon idée est qu'un critique va être payé $75 pour passer en revue un livre s’il fait 400 pages, ou si c’est un Elmore Leonard de 225 pages, aussi finissent-ils sans aucun doute par pencher du côté "Chouette, celui-ci est beaucoup plus facile à rédiger!", parce que quand vous êtes critique, c'est un travail.
La lecture rend les choses différentes de ce qu'elles sont si vous êtes assis dans un avion, ou si vous êtes pris d'insomnie au milieu de la nuit et ne pouvez pas dormir, et vous voulez quelque chose qui vous tienne compagnie - vous voulez quelque chose qui va vous emmener ailleurs et vous envoûter.
Si vous faites de l'auto-stop au bord de la route, et que quelqu'un arrive et vous fait faire un tour en Rolls Royce, voilà de quoi faire un bon livre . J'ai vu à maintes reprises cette relation - "Un autre grand long roman, hein, M. King ? Hein, M. Irving ? Gribouillage, gribouillage, gribouillages !!"
John : Oui, et d’autres mots similaires sont employés pour nous deux : "décousu," "interminable." C'est juste un euphémisme pour : "plus long que j’aimerai."
Journal : C’est ce que j'ai du mal à comprendre. En tant que fans, c’est ce que nous voulons.
John : Le seul cas où mes lecteurs se sont jamais plaint a été la fois exceptionnelle où mon livre était plus court qu'habituellement. Ils disent, "quand allez-vous écrire un autre gros bouquin ? Le dernier était trop court." Je n'ai jamais reçu de plainte de lecteurs trouvant mes romans trop longs - les romans de Steve sont longs, mes romans sont longs.
Regardez les auteurs dans le monde entier, qui ont également un accueil très mitigé, grands nombres de lecteurs, mais des critiques très agressives : Salman Rushdie, Garcia Marquez, Umberto Eco. Leurs livres sont très exigeants et communément longs et menés par une intrigue. Pour le minimaliste d'aujourd'hui, les normes du modernisme, Steve et moi sommes une paire de conteurs du 19éme siècle. L’intrigue est dépréciée par les critiques presque autant que la longueur. Si un roman repose sur une intrigue, on dit qu’elle est tirée par les cheveux.
Stephen : Exact.
John : C'est les moyens habituels, lorsque vous entendez un critique dire d’une histoire qu’elle est ardue, pour dire en vérité, "je n'aime pas l’histoire."
Stephen : Un critique ne croira pas que vous puissiez être dans un aéroport à San Diego et rencontrer dans cet aéroport un ami d'enfance que vous n'avez pas vu depuis 25 ans, parce que les critiques, apparemment, n'ont pas des amis. C'est la seule chose que je peux me dire.
John : Oui, c’est également au delà de leur imagination de penser à une coïncidence.
Stephen : Je crois bien, oui. Ils n'aiment pas les coïncidences.
Stephen : Je suis une chose en tant qu'écrivain : le livre est le patron. L'écrivain a deux choix quand il s'assied, il peut aussi bien dire, "je suis le patron de cette chose," dans ce cas, il va se faire botter le derrière, ou il peut dire, "je vais laisser ce livre être le patron et raconter l'histoire qu'il va raconter."
Mon travail quand je m'assieds consiste à me dire, "voyons où cette histoire mène, et n’essaie pas de micro-contrôler et de décréter, ''voilà où je veux qu'elle aille." Je m'assieds et j'ai une idée de ce que l’histoire va être. Parfois c'est de cette façon qu’elle sera, parfois pas. Je suis heureux si je me retrouve quelque part dans un hurlement ou un cri où je pensais me retrouver. C'est comme cela que ça marche habituellement.
Mais cela étant, vous êtes censé jouer franc-jeu, vous n’êtes pas censé forcer vos personnages autour. Je ne suis pas le genre de personne qui fait cela dans la vraie vie. Je n'essaye pas de contrôler les gens, aussi je laisse plutôt les personnages faire assez ce qu'ils veulent. Comme lecteur, John m'a donné son nouveau livre. Je l'ai posé sur la table de nuit à la maison, c'est l’été et je ne peux pas attendre pour entrer dans cette chose - elle est géniale. Elle va au bout par moment.
Journal : Il y a une certaine tendance chez les fans de n'importe quel écrivain, dès qu'ils se procurent le nouveau roman de l'auteur, il y a une envie pressante de vouloir se plonger dedans, pour explorer toutes les possibilités du livre. Quand vous avez commencé pour la première fois "la série de la tour sombre", vous avez dit que vous vous sentiez comme si vous étiez aux commandes d’une…
Stephen : Grande machine.
Journal : Oui, la grande machine, et vous ne saviez pas si vous l'aviez en vous pour la finir.
Stephen : Je ne savais pas dans quelles directions cela pouvait aller. Vous voulez connaître une des meilleures choses qui me soit jamais arrivée ? Quand j'ai commencé cette série, j'étais très jeune, et je trouvais toujours les moyens de faire des choses, et j'avais un premier jet de cette série de livres, et je l'ai perdue. Je suis vraiment heureux. Je suis vraiment heureux de l'avoir perdue. L’histoire s’est débrouillée elle-même pour traîner en longueur.
John : J'ai perdu la moitié d'un roman par le passé. La moitié d'un roman que j’avais déjà écrit.
Stephen : Sortez.
John : Oui, j'ai perdu la moitié "The Water Method Man," mon deuxième roman. Je l'avais emmené avec moi en Europe, espérant que si le film que partais écrire en Europe, tombait à l’eau, ou s'il ne m'occupait pas tout le long de l’année, j'aurais ce roman à reprendre.
Mais le film a pris la majeure partie de l'année, et avant de rentrer chez moi, de retour aux Etats-Unis, j'ai pris le roman - j'ai ramené la moitié " The Water Method Man " aux Etats-Unis avec moi, et la malle fut égarée.
Stephen : Oh mon dieu.
John : Vous savez, les gens continuaient à dire, "nous le retrouverons, nous retrouvons toujours ces choses." Il fut perdu dans l'expédition (nous prenions des bateaux à l’époque). Ainsi j'ai recommencé ce roman, et je ne l'avais pas lu en presque une année. J'avais toujours l’idée au fond mon esprit qu'il serait toujours beaucoup plus mauvais que ce que j'avais précédemment écrit.
Des mois plus tard, la malle est revenu, il y avait le roman, et ce que j’avais nouvellement écrit était cent fois mieux. J'ai juste commencé à lire les vieilles pages, et n'ai même pas fini de les lire ; J'ai juste su que c'était mauvais.
Stephen : Oui, quand les unités de traitement de texte sont arrivées, à l’époque de Simetierre. Je l'avais écrit, et il avait une fin très plate. Je ne peux pas me rappeler ce qu'était la fin, mais mon rédacteur pour Doubleday était parti, et Sam Vaughn lui avait succédé. J'ai fait le livre avec Doubleday, l’ai terminé pour sortir un tas de livres hors de ce truc d'auteurs/management - ils l'avaient fondamentalement transformée en une servitude involontaire pour de jeunes auteurs. Ils récriraient essentiellement les contrats et j'obtiendrais mon argent des premiers livres.
Sam a dit, "Feriez-vous une nouvelle fin ? Quelque chose de plus percutant ?"
J'ai dit, "Et si l'épouse de Louis Creed, au lieu de juste mourir, on la mettait dans le cimetière des animaux et qu’elle revienne, et ce serait la fin?"
Sam répondit, "Cela semble formidable!"
Je lui ai dit, "Laissez-moi écrire ça pour vous, et cela me prendra environ une heure et demie." Je l'écrivis, et c'était long d’environ neuf pages. Et puis, j'ai pressé la mauvaise touche, et au lieu de la presser ENREGISTRER, j'ai pressé SUPPRIMER, et j'ai envoyé tout au paradis des données. J'ai crié, et ce fut la seule fois où j'ai fait cela. Mon épouse est venue courant. Elle pensait que je m’étais tranché la main (ce que j’avais l’impression de ressentir). Alors je l'ai écrite à nouveau, et la deuxième fois que je l'ai écrite, j'ai pensé que c'était beaucoup mieux. Mais alors je n'avais rien pour comparer, aussi peut-être le premier était-il génial.
John : Le roman que Ken Kesey écrivit entre "Vol au-dessus d’un nid de coucous" et "Sometimes a Great Notion" était dans la maisonnette d'écriture de Ken sur le fleuve Puget Sound, et son épouse a jeté le roman dans la Sound. Je devine qu'elle était en désaccord avec des choses qu'il avait faites.
Stephen : J’imagine que oui .
John : Elle est entrée dans la cabane d'écriture et a jeté le roman entier dans le Sound, alors Kesey a dit, '"Oh bien," et commença d’écrire un autre roman, et il n'a jamais réécrit ce roman qui a fini dans le Puget Sound.
Stephen : Je suis allé en Floride lorsque j'écrivais "Dead Zone," et j'avais une copie du manuscrit (c’était au temps de la machine à écrire) et j’avais le sac bleu de voyage de mon épouse. Nous sommes rentrés, et le sac de voyage fut mis à la consigne (je ne peux me rappeler pourquoi), mais il ressemblait à un sac de bowling. Quand je l'ai sorti à la maison et ouvert, mon manuscrit s’était transformé en avocat. C'était un avocat. J'ai dit à mon épouse, "Que diable est-ce?" J'ai regardé au bas de la petite étiquette, et c’était le sac identique de quelqu'un d'autre - ce n'était pas le mien.
J'ai appelé le numéro, et une petite vieille dame me répondit, et elle a dit, "Oui, j'ai un sac qui a un tas d'écritures et de papiers." J'ai demandé, "Pourrions nous faire l'échange?" Et elle a dit, "Et bien, je ne sors jamais s'il y a un flocon de neige."
Finalement, c’était un jour où il n'y avait pas un flocon de neige, aussi avons nous fait l'échange. J'ai récupéré mon manuscrit. Elle a pris ses avocats et j'ai pris mon manuscrit.
En espérant la parution de beaucoup de futurs manuscrits de John Irving et de Stephen King. Longues journées et nuits plaisantes, messieurs.
Voilà! Je ne suis pas sûr que le Puget Sound soit un fleuve, mais bon!
