MARKANDAR : LIVRE I « Le Big Bang » : Prologue
Episode 6 : Préhistoire glaciale
(Deuxième partie)
Stockholm (Suède) : Hiver 2004
1
Roxanne rejoignit Ellrick quelques minutes seulement après l’avoir quitté. Elle prit soin de refermer la porte derrière elle, s’avançait vers celui qui était le point fixe de toutes ses pensées, tira la chaise qui était à coté de lui et s’installa :
- Comment vont les autres, demanda-t-il ?
- Ils se sont calmés mais ils sont plus désespérés qu’avant. Il n’y a vraiment rien dehors à part la neige. Greg s’est imposé en leader dans un groupe de six personnes partis en expédition. Ils espèrent trouver quelqu’un ou même simplement quelque chose à becqueter. Larsson est en train de mettre de la neige dans des bouteilles pour faire des réserves d’eau.
Elle s’arrêta un instant, resta pensive avant de reprendre :
- C’est très étrange tout ça, même les téléphones portables ne fonctionnent plus ; ils sont toujours allumés mais il n’y a aucun réseau indiqué, c’est à croire que tous les satellites viennent d’exploser.
Elle stoppa une nouvelle fois. Non plus pour réfléchir mais pour essuyer la larme qui venait de couler sur sa joue pendant qu’elle racontait les dernières nouvelles.
- On va tous sortir de là, ne t’inquiètes pas, lui dit Ellrick pour la consoler mais sans vraiment y croire.
- Ce n’est pas pour cela que je pleure, je sais pas, c’est étrange ce qu’il se passe et je ne parle pas seulement du désert de glace.
- Tu as vu autre chose qui a changé ? demanda Ellrick et regrettant sa question la seconde qui suivit. Il ne fallait pas qu’il soit trop curieux. La seule façon pour qu’il ait une chance de se sortir de ce pétrin, c’est de faire confiance à l’homme de son rêve. Il trouvait cela complètement absurde d’attacher tant d’importance à un rêve mais au vue de la situation, il n’avait que ça pour se raccrocher.
- Non je ne sais pas, c’est juste une impression. On dirait parfois qu’il y a une présence autour de nous. Et j’ai le sentiment que cela agit sur nous comme si on n’était que des marionnettes. On dirait que je n’ai aucun contrôle de moi-même, de ce que je pense.
- C’est normal. Toute notre vie, on a été conditionné. La société a fait de nous des gens responsables. Que nous puissions maîtriser chaque situation. Mais là regarde, sans savoir comment s’est arrivé, nous sommes là, perdus au beau milieu d’une immensité glacière. On n’a senti aucune vibration. Je ne sais rien de plus que toi hormis le fait que ce qu’il nous arrive est réel. On est pas dans un reality-show. Personne n’aurait pu planter ou nous transporter dans un décor aussi grand, aussi loin. Si on veut s’en sortir, il nous faut croire à l’imaginaire. On doit commencer à prendre au sérieux toute la littérature fantastique et de science-fiction. Imagine que tu es dans un bouquin. Tu n’es qu’un personnage. Que ferais-tu ?
- Je crois que j’essaierais de plaire au lecteur, je crois que j’agirais en fonction de ce que veut le lecteur. Les héros ne meurent pas.
- Tu as raison pour la plupart des histoires mais ici, on est dans la réalité. Ne te fie pas à cette idée.
Il prit un temps avant de reprendre :
- Et puis il y a ce rêve à la fois absurde mais plein de sens.
- Que crois-tu que nous devrions faire à l’heure qu’il est ?
- Attendre. Je ne crois pas que nous allons rester trop longtemps dans cette situation. Si le type du rêve m’a dit que je devais adopter une certaine attitude, c’est dans un but précis. Quelque chose va se produire. Et ça va me concerner particulièrement vu que c’est à moi que le type du rêve s’est adressé. Pourquoi suis-je le seul à m’être endormi ?
- Crois-tu que nous retrouverons un jour une vie normale ?
- Rien n’est moins sûr. Regarde par toi-même, nous restons là à attendre, rien ne passe, pourquoi ? Nous sommes sur une passerelle. On a quitté notre passé et nous allons vers une nouvelle existence qui semble être très différente de notre passé. Tu me demandais ce que je crois ? Je n’en sais rien mais une chose est sûr : quoiqu’il se passe, plus rien ne sera pareil désormais.
- Nous pourrons peut-être un jour reprendre cette passerelle, tu ne penses pas ? demanda Roxanne avec tout son optimisme.
Ellrick ne savait pas quoi lui répondre, il ne voulait pas la désespérer mais il opta après beaucoup d’hésitations pour la sincérité et ce n’est pas sans mal qu’il lui répondit :
- Franchement je ne crois pas.
Il regretta immédiatement ce choix. Pour Roxanne, c’était la phrase de trop, elle craqua et tomba en sanglots. Ellrick voulant réparer son erreur la prit dans ses bras. Il regarda une nouvelle fois pas la fenêtre. La neige s’était remise à tomber. Encore un nouveau changement…
2
La porte s’ouvrit soudainement. Cinq garçons entrèrent. Ellrick et Roxanne se levèrent encore plus vite. Roxanne interrogea l’un d’eux :
- Vous avez trouvé quelque chose ?
- Oui, c’est vraiment bizarre, on vient de trouver un vieillard congelé dans la glace à environ un kilomètre vers l’ouest. Il est mort.
Ellrick mit son manteau et se dirigea vers la sortie.
- Je veux voir cet homme.
Il savait qu’il ne devait pas être trop curieux mais c’était le seul indice qui leur était laissé, il fallait qu’il en prenne connaissance.
- Reste ici Ellrick, il est mort. Cela ne sert à rien de se perdre dans toute cette glace pour aller l’examiner. De plus, la neige tombe de plus en plus fort. Ne prends le risque d’être coincé dans une tempête de neige, déconseilla Markus.
- Non je ne changerai pas d’avis. Je pourrai peut-être comprendre comment il est arrivé là et d’où il vient. C’est le seul moyen de se tirer de ce merdier.
Roxanne mit à son tour son manteau. Ellrick la dévisagea :
- Tu comptes faire quoi là ?
- Je viens avec toi, lui dit-elle.
Ellrick ne s’y opposa pas. Il était même content qu’elle l’accompagne. Elle lui donnerait d’une certaine façon plus de courage et de détermination. Lorsqu’elle arriva à sa hauteur, Ellrick posa sa main dans sa chevelure et la caressa.
- Mets ton bonnet, ça caille dehors, lui chuchota-t-il dans l’oreille.
C’est ainsi qu’Ellrick et Roxanne, accompagnés des membres de la première expédition, se dirigeaient vers le cadavre congelé. Ils se tenaient la main. Ils n’étaient qu’au début de leur peine et déjà, une certaine complicité naissait au fond de chacun d’eux. Pourquoi avait-il fallu qu’il se produise quelque chose d’extraordinaire pour qu’Ellrick se rapproche de Roxanne de cette façon ? Peut-être que tous ces changements étaient enfuis en lui, sans pour autant se manifester. Ensuite, il y a eu le déclencheur. Ses sentiments se sont brusquement mis à prendre forme. Ellrick le savait : de toute cette aventure, c’était l’amour qui s’était imposé le plus. La peur arrivait en deuxième position. Ellrick ressentait également une certaine haine en lui. Elle semblait insignifiante pour le moment et il ne parvenait pas à en trouver l’origine.
- C’est ici qu’il se trouve, déclara Greg après un long silence.
Le vieillard congelé se trouvait là. Il était presque aussi blanc que la neige qui l’entourait. Ses paupières étaient closes. Sa longue chevelure blanche semblait être incrustée dans la glace.
Ellrick s’approcha de lui et le regarda attentivement. Quelque chose clochait. Ce n’était pas parce que cet homme se trouvait là alors qu’il n’y avait rien à l’horizon bien que ceci était très étrange. Non, cela avait un rapport avec sa tenue.
- Visez un peu ses vêtements, ils sont … hors du commun, vous ne trouvez pas ? remarqua Ellrick.
Le vieillard portait une longue cape brune qui faisait penser à la tenue d’un moine copiste du Moyen-Age. Mais il avait quelque chose en plus. Ellrick déboutonna la cape à moitié. Elle était rembourrée et attachée à une combinaison grise imperméable. Certains poussèrent un cri d’étonnement. C’était la première fois qu’ils voyaient des fringues aussi bizarre. Même Jean-Louis David n’avait jamais conçu de costumes aussi moches.
Ellrick continua à analyser la texture de la cape et découvrit deux poches. Son cœur se noua. Il se souvint de son rêve, il ne fallait pas être trop curieux. Il savait aussi que le contenu de ces poches pourrait tout changer. Mais ils étaient prisonniers, ils n’avaient pas de nourriture. Il le va la tête et son regard se posa sur Roxanne. Encore elle. Ellrick s’agenouilla et pénétra sa main dans la première poche. Lorsqu’il la retira, une enveloppe fermée avec de la cire en sortit. Il ne s’empressa pas de l’ouvrir, préférant analyser chaque étape de la découverte.
- Ce homme pourrait bien être un messager. Il serait mort avant d’avoir pu remettre cette lettre. De plus, il ne faut pas ignorer l’importance de ce que contient cette enveloppe. N’oubliez pas que cet homme a risqué sa vie et est mort dans ce désert pour pouvoir la transmettre, en déduisit Ellrick.
Il ouvrit alors la lettre et la lu à haute voix :
Cher Clarkiten,
J’ai tout d’abord une très mauvaise nouvelle à vous annoncer : les Pro-Chaos ont été élus pour des postes très importants au sein du Markandar. Il paraît que même les Cossarks ont obtenu des voix. Il faut en déduire que le Markandar a choisi sa voie. Ce que nous avons redouté depuis tant d’années a bien fini par arriver.
De plus, cette nouvelle est accompagnée d’une série toute aussi désastreuse. La guerre européenne sera bientôt terminée. Les Nistres détiennent 80% des territoires et sont plus puissants que les autres armées réunies.
Il ne reste cependant qu’une ultime solution pour empêcher tout cela d’arriver. On passe au plan Z. C’est très dangereux mais c’est notre dernière chance. Nous devons actionner le « Reset Project » et donc j’entends par là qu’il faut reconvoquer les mercenaires. La plupart de nos actuels compatriotes sont morts dans les missions du Markandar. Ce n’est pas sans une grande tristesse que je vous envoie la liste des décès :
Simon, Drakov, Jack, Aphrodite, Lisa, Sylvio et Horrington.
Paix à leurs âmes…
Il ne reste plus que la Belette, Neuf de Trèfle, et le Messager. Billy, quant à lui, a rejoint le gouvernement du Markandar. Il veut faire exploser le système de l’intérieur mais j’ai un doute quant à ses véritables intentions. Je ne lui fais pas confiance.
Mais le temps presse, c’est à vous de jouer à présent mon cher Clarkiten.
Bonne chance et bon courage.
El Revolucionario
A la fin de sa lecture, tout le monde le regarda d’une manière incrédule.
- Dans quoi avons-nous mis les pieds ? demanda Greg.
Sven, le meilleur ami de Greg, fit mine de réfléchir. Il dit alors en souriant :
- Je crois que c’est dans la merde.
- Moi je crois surtout que celui qui va encore donner sa petite touche d’humour, il va se retrouver vraiment dans la merde. J’sais que t’es mon pote Sven mais la j’suis un peu sur les nerfs. Alors, à ta place, je me calmerais. N’oublie pas qu’il n’y a plus de flics ici, dit Greg sur un ton à la fois menaçant et amical.
Silence.
- Calmez-vous, reprit Ellrick, je pense que nous allons toucher au but. Nous allons trouver une solution. Peut-être lorsqu’on découvrira ce que cache la deuxième poche.
Il se dirigea à nouveau vers le cadavre, froid comme la mort. Il s’assit alors près de lui, redéposa sa main sur les vêtements trempés. Il ouvrit soigneusement la deuxième poche et y fit pénétrer sa main. Lorsqu’il la retira, un portefeuille y était pendu comme un poisson accroché à l’hameçon d’un pêcheur. Personne autour de lui ne faisait le moindre bruit, ils se contentaient de contempler la scène en silence, attentifs à chaque étape franchie. Mais Ellrick se pressa soudainement de fouiller le portefeuille. Il y sortit une carte dorée avec des inscriptions gravées, et repassées avec de la peinture noire. Bien que d’un aspect différent, elle faisait penser à une carte d’identité. Ellrick commença à lire ce qu’il était écrit. Peu à peu, sa main se déserra de l’objet. La carte finit par tomber. Elle fit une sorte de « Chrok » lorsqu’elle s’enfonça dans la neige. Les premiers mots de la carte étaient à présent visibles pour tous :
Name : Landson
First Name : Ellrick
- - -
A suivre…