Un Jeu d'Enfant
Salut à tous !!!
Je viens juste vous faire partager une nouvelle d'horreur pure que je crois n'avoir jamais mise ici... Je l'ai récemment remaniée ce qui me pousse à vous la donner en pâture !!!
http://tdesmond.free.fr/nouvelles/unjeudendant.pdf (pour la présentation plus classe)
UN JEU D'ENFANT
Pour leur premier casse, Henry avait fait travailler ses méninges, ce qui lui arrivait peu souvent. Étant donné le QI de chèvre de son complice Charly, il se considérait comme le cerveau de leur association de malfaiteurs, et il était plutôt fier de son plan.
La veille, ils avaient tenu une planque devant une belle maison bourgeoise, genre pelouse tondue et rideaux aux fenêtres. À la nuit tombée, ils avaient tiré la caisse garée dans l'allée, un gros break Lincoln empestant le neuf, avant d'aller faire un tour dans les beaux quartiers, goûtant pour quelques instants le plaisir de se croire plein aux as.
Ils avaient ramené la tire quelques heures plus tard, et l'avaient gentiment remis à sa place, sans faire de bruit.
Henry avait eu un vrai coup de génie, c'est en tout cas ce qu'il pensa avec jubilation après avoir déposé avant de détaler une petite enveloppe sur le siège passager.
Cette enveloppe contenait une feuille de papier jaunie sur laquelle il avait rédigé quelques mots de son écriture maladroite.
Monsieur ou Madame,
Je m'excuse d'avoir pris votre voiture sans votre permission, mais j'était bien obligé. Ma copine elle a des crises d'épilepsi et comme par hasard elle en a eu une juste devant votre maison. Vu qu'on était à pinces, j'ai couru à votre voiture qui était ouverte. On est allé à l'haupital avec et après je vous l'est ramné. On a rien abimer, je vous le jure.
Pour me faire pardonnait, je vous ai acheté deux place pour un spectacle au théatre ce soir, et j'espère que vous allait trouvé ça chouette.
Pardon du font du coeur,
D. H.
Il avait signé D.H. pour Daniel Henry, car c'était son nom à l'envers. Pas con le gars, hé !
Postés depuis une heure devant la baraque dans leur fourgonnette grise puant la frite froide, Henry et Charly attendaient que les deux pigeons partent à ce foutu théâtre, leur laissant ainsi la voie libre pour braquer la baraque.
Aux alentours de 19h, Charly n'en pouvait déjà plus de rester là à rien faire. Et puis il avait une de ces dalles. N'y tenant plus, il farfouilla dans la boîte à gant et en sortit un petit paquet de ships aux oignons. Ses préférés.
Henry siffla.
– Encore en train de bouffer, putain je te jure...
Ignorant la remarque, Charly déchira doucement l'ouverture du sac, les yeux baissés, sans rien dire, et commença à grignoter. Il n'avait pas posé de questions à Henry par rapport au plan, car il n'avait rien compris. Et quand on sait pas, vaut mieux pas savoir, comme disait sa mère.
Henry scrutait la rue, ne désirant pas rater un quelconque signe de départ des habitants de la maison. Dès qu'une bagnole passait dans la rue, il arborait sa tête de Je suis un mec nor-mal m'sieurs-dames. Quand un conducteur croisait son regard, il sentait ses couilles rétrécir. Derrière chaque tête de con peut se cacher un poulet, disait Mickey Flynt dans un film qu'il avait loué. Fallait toujours se méfier des billes de clown.
Il pensait à ce premier coup, ça allait le faire, il en était sûr, putain ! Il rêva de sa nouvelle réputation dans la ville quand son nom commencerait à apparaître aux coins des lèvres des gros bonnets. Les gars avec les gros calibres, ceux qu'il faut craindre. C'était avec eux qu'il voulait faire du business.
Pris d'une bouffé de chaleur enthousiaste, il claqua des doigts et lança à Charlie :
– On a une chance sur deux mon pote. Une sur deux !
– Une chance de quoi ? répondit Charly entre deux mastications, tout en fourrant sa grosse paluche dans le paquet de chips pour y chercher de nouveaux pétales.
– Une chance sur deux qu'ils aillent au théâtre, imbécile, dit Henry tout en le regardant avec désespoir.
Son regard se braqua sur le paquet dans lequel la main de Charly était en train de fourrager.
– Bah quoi ? demanda le gros. Pourquoi tu me regardes comme ça ?
Henry leva les yeux au ciel et sortit un paquet neuf de News de sa poche de chemise. Il déchira l'emballage en plastique qu'il jeta sur le tapis de sol jonché de détritus, avant de sortir une cigarette.
– Rien, laisse tomber. T'en veut une ? dit-il en lui tendant le paquet dont deux cigarettes dépassaient un peu.
– Non merci, répondit Charly la bouche pleine, faut que j'arrête, ma mère dit que ça va me boucher les artères, comme un tuyau d'chiotte !
Henry tira sur sa clope nerveusement.
– Mais quel gros couillon ! Putain ! mais c'est toutes ces merdes que tu bouffes (il attrapa le paquet de chips et le secoua) qui vont te bousiller la santé, et ta mère c'est pareil, elle est presque aussi large que son foutu plumard.
Charly fixa le pare-brise en gardant le silence, et recommença à piocher dans le paquet à l'emballage de plus en plus gras, les yeux sans expression.
Vers 19h30, un homme et une femme habillés avec élégance sortirent de la maison d'un pas vif et guilleret.
– Baisse-toi, putain ! s'écria Henry.
Les deux hommes dans la fourgonnette se baissèrent pour ne pas se faire voir. Après tout, une fourgonnette toute déglinguée avec des pneus rouges et un autocollant Suce mon pot collé sur le côté, ça pouvait faire tache dans un quartier pavillonnaire où toutes les bicoques valaient plus d'un million de dollars.
Henry, tout en gardant sa main droite posée sur le crâne de Charly, se redressa de quelques centimètres et observa le break Lincoln reculer dans l'allée puis disparaître au coin de la rue.
Un cri d'excitation monta dans sa gorge et il se mit à battre des mains une mesure irrégulière sur le volant.
– Tombés dans le panneau, les blaireaux ! exulta-t-il y tout en se redressant complètement.
– Henry, t'es sûr qu'ils sont partis au machin ?
– T'as pas vu leurs fringues, pauv' taré ! Sapés comme pour aller voir le pape ! Et je pense pas qu'ils vont faire un bowling en costard et écharpe de soie rouge.
– Ouais, mais peut-être qu'il reste des gens dans la maison ?
– On verra bien. On a vu personne rentrer depuis qu'on est posté ici, et puis y a pas d'autre bagnole garée devant. Alors, à part des mouflards en pyjama ou la grand-mère en train d'astiquer son râtelier, on n’a pas grand-chose à craindre. T'as pas peur d'une vioque quand même, si ?
– Et si y a un chien ? Un gros là, un molosse ? s'inquiéta Charly tout en levant ses épais sourcils. Ça te mord direct ces machins-là...
Henry regarda Charly d'un air désespéré.
– Bon, on va pas se prendre la tête avant même d'être entré dans cette foutue baraque ? Je te dis que ça va être un vrai jeu d'enfant. Alors bouge ton gros cul, prend le sac et sort les masques. C'est bon t'as imprimé ?
Charly se pencha au-dessus de la banquette et attrapa le sac où ils rangeraient tout ce qu'ils trouveraient d'intéressant et de valeur dans la maison. Il l'ouvrit et en sortit deux masques en plastiques représentant un George W. Bush au sourire niais. Ils les enfilèrent et vérifièrent leurs armes.
– T'as la matraque ? dit Henry d'une voix étouffée par le plastique du masque.
– Merde, j'allais l'oublier !
Henry soupira et vérifia que son petit Ruger automatique glissé sous sa ceinture était bien chargé.
– C'est bon t'es prêt ?
– Ouais, c'est bon. On peut y aller.
Henry vérifia une dernière fois que la rue était bien déserte, et ils sortirent. La nuit était en train de tomber et il y avait peu de chances qu'on les aperçoive. Il faisait plutôt doux, et quelques grillons avaient déjà commencé à émettre leurs chants stridulants.
Ils arrivèrent devant l'entrée. Henry tourna la poignée et la porte s'ouvrit tout doucement.
– Putain, Henry ! c'est ouvert ! murmura Charly, tout excité de ne pas avoir à casser un carreau.
– Ta gueule, putain ! Si c'est ouvert, c'est qu'il y a sûrement quelqu'un à l'intérieur, lui murmura Henry en se retenant de lui filer un marron.
– Ohhhh merde... Vaut mieux qu'on se tire, non ?
Derrière son masque bon marché, Henry bouillonnait. Il inspira et se calma.
– On va y aller tout doucement, tu restes derrière moi, et tu fermes ton claque merde, t'as compris ?
Charly hocha la tête à contrecœur. Il le sentait pas ce coup.
Ils pénétrèrent dans le hall d'entrée et Henry referma la porte derrière lui avec douceur. Les deux hommes restèrent ébahis devant le luxe des lieux. Les choses entassées ça et là étaient si belles qu'ils n'auraient su les nommer.
Charly siffla tout bas et s'approcha pour toucher quelques statues dorées. Henry s'avança jusqu'au centre du hall, dont le sol représentait un damier circulaire. Il entrevit le salon et crut sentir sa poche de jean se gonfler d'épaisses liasses de dollars.
– P'tain Henry, va falloir qu'on trouve un autre sac si on veut tout embarquer hein ? dit Charly, euphorique.
Henry porta son index à sa bouche pour lui signifier de garder le silence. Il y avait aussi un grand escalier en marbre dont les marches étaient recouvertes d'un tapis blanc crème serti de baguettes dorées. Ils iraient voir après, décida Henry. Il fit un signe à son complice et ils pénétrèrent dans le salon à pas feutrés. Charly ne se rappelait que d'un truc que lui avait dit Henry : regarder partout et chouraver tout ce qu'il y avait de plus petit et surtout de plus précieux. Il repéra une étagère couverte de babioles brillantes et fonça droit dessus, tout en tirant la fermeture éclair de son sac. Henry avait déjà commencé à s'occuper du matériel hi-fi. Ça partait bien ce genre de trucs, surtout les marques connues. Il sourit en découvrant sous le large meuble design où était posée la télé (un putain d'écran aussi large qu'un mur) tout un ensemble home-cinéma de marque SONY.
Un bruit de pas se fit entendre au-dessus de leur tête.
Les deux hommes s'immobilisèrent, les muscles raidis comme des câbles de téléphérique.
– Y a quelqu'un merde ! gémit tout bas Charly, soudain animé de mouvements désordonnés.
– Ta gueule putain ! lui murmura Henry à travers le masque.
Une enfilade de petits pas rapides résonnèrent de nouveau. Plus près. Henry rejoignit Charly et le tira derrière une large porte qui semblait donner sur une salle à manger.
– J'crois que c'est des chiards. Une vioque, elle courrait pas comme ça. Va falloir les attraper et les bâillonner si on veut finir le boulot...
Charly tremblait contre lui. C'était pas prévu qu'y ait des gens, merde.
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