Voilà la nouvelle mouture de ma nouvelle. J'espère qu'elle vous plaira !!! A vos critiques ! J'attends tout ça avec impatience !!!
Merci d'avance !!!!
CIRCUIT GASTRONOMIQUE 2
écrit par
Jérémy SEMET
Mon mentor s’en était allé trop tôt et mon unique soutien s’absentait trop souvent, j’ai dû alors me débrouiller seul.
Livré à moi-même, j’ai déserté le lycée pendant un temps – restant dans mon lit des journées entières – avant de trouver, un beau jour, le courage de sortir de la maison. Je n’avais plus goût à rien. Tout me semblait lointain. Je n’étais plus connecté à la réalité.
Comment tout a commencé ? C’est la question que l’on me pose le plus souvent.
Par hasard. C’était un Lundi. Je m’étais arrêté dans un square au cours de l’une de mes promenades. Il se faisait tard. Maman était encore à la maison ; elle ne s’inquiétait plus pour moi, enfermée dans sa camisole chimique.
Avachi sur un banc, le ventre vide depuis la veille, je regardais les bolides monter et descendre la rue lorsqu’un morceau de journal collé sous la semelle de ma Converse attira mon attention. Il avait l’aspect d’une cervelle que l’on aurait trop fait cuir. Une fois la boule de papier humide défroissée et sommairement séchée je me suis rendu compte qu’il s’agissait de la page des avis mortuaires. On ne voyait plus très bien ce qu’il y avait écrit à l’exception d’un nom. Sous ce nom était écrit en gras : « les obsèques seront suivis d’un buffet offert dans la salle municipale ». Ça m’a frappé. Plus que d’habitude. J’ai aussitôt sorti mon petit agenda Crédit Mutuel bleu roi et j’ai biffé le jour où avait lieu la veillée.
Le lendemain, je n’étais toujours pas rentrer chez moi. J’avais passé la nuit dehors. En me réveillant, j’avais cet article qui me trottait encore dans la tête. La cérémonie avait lieu dans l’après-midi. Mon estomac criait famine : je ne pouvais pas manquer cette occasion.
C’est étrange comme certains souvenirs gardent leur authenticité alors que d’autres fondent comme neige au soleil. Les jours passent et ont tous comme un arrière-goût de déjà-vu. Mais pas celui-là. Je me souviens de tout : du ciel anormalement bas qui forçait mon menton à toucher ma poitrine (sans doute une peur inconsciente de me cogner) et de la pluie qui ruisselait sur les vitres de l’hôtel de ville.
Avec maman dans le cirage, je pus sans aucun mal prendre un des costards de papa dans son armoire ; de toutes façons là où il repose désormais, il n’en aura plus l’utilité.
Les membres de la famille arrivaient au compte gouttes. Le maire était passé devant moi sans me reconnaître ; je n’avais rien de distinctif, j’étais vêtu de noir comme les autres. Alors que je l’avais reconnu au premier coup d’œil, paré de son écharpe tricolore, paradant comme un paon avec son gros derrière.
J’avançais d’un pas hésitant en direction de la grande salle, ne sachant pas si je devais faire ce que je m’apprêtais à faire. Alors je me suis arrêté juste après avoir franchit les grandes portes, au cas où il fallait plier les gaules et rentrer dare-dare.
Je ne connaissais pas tous ces gens ; eux n’ont plus.
Monsieur Mankeln s’est endormi dans la paix de Dieu, […] munie des sacrements de l’Eglise.
C’était la phrase de l’article qui me choquait le plus. Elle me choquait car je savais très bien, au fond de moi, que tout cela n’était que de la connerie. Les proches avaient demandé au journal d’écrire ça alors que la réalité était tout autre. Ce qui aurait dû paraître était : un cancer lui a gâché sa retraite et il est mort dans la souffrance, pleurant l’absence de ses enfants qui ne lui parlaient plus depuis vingt ans parce que ce n’était rien d’autre qu’un bel enfoiré.
Ce qui m’avait également frappé était la froideur dont les proches faisaient preuve à l’égard de la veuve. Une poignée de main molle. Une petite tape dans le dos. Une phrase murmurée à l’oreille qui se voulait réconfortante mais qui ne l’était pas. Un sourire effacé, presque forcé. Et en route pour les réjouissances. Circuit classique.
Au bout d’une ou deux cérémonies de ce genre, tout cela m’était venu instinctivement. Mais cet après-midi-là, je n’étais pas aussi confiant ; j’avais même du mal à cacher mon anxiété. Je faisais simplement mon apprentissage.
Les plupart des gens n’étaient pas là par compassion ni même par envie. Ils étaient simplement là par obligation. Les plus vieux avaient rouspété en apprenant la nouvelle – ne voulant pas faire autant de kilomètres pour côtoyer leur prochaine demeure – et les plus jeunes rechignaient à se rendre à la cérémonie par peur de voir leur premier macchabée de près. Seulement un tiers avait répondu à l’appel. Mais parmi toutes ces personnes, la majorité avait une, sinon deux bonnes raisons de détester ou de haïr le défunt. C’est d’ailleurs pendant ces veillées que les rancoeurs les plus tenaces refaisaient surface.
Au bout d’un quart d’heure, la salle s’était emplie de moitié. Je circulais parmi eux, passant de petits groupes familiaux en petits groupes familiaux, écoutant au passage leurs brèves conversations. Mais elles n’avaient rien d’exceptionnelle. Les discussions n’ont jamais rien d’exceptionnelle dans les enterrements.
J’élaborais sans le savoir la technique d’approche que j’allais affiner par la suite. Je procéderais toujours de la même façon : me faisant toujours le plus discret possible. Je ne voulais surtout pas être repéré.
Une fois le mur de proches passé, je m’étais retrouvé devant une première table : garnie de plateaux proposant les plus savoureuses pâtisseries qui m’eu été donné de contempler ; et bientôt de goûter : profiteroles, éclairs au café, crêpes et forêt noire (mon gâteau préféré). Les thermos de café étaient disposées en forme de losange sur la seconde table, tout à côté d’une troisième table où avaient été judicieusement disposés des montagnes de brioches et une dizaine de carafes de jus de fruits.
Lorsque le petit-fils du défunt eut terminé son speech, je m’étais discrètement dirigé vers la sortie, avec deux ou trois morceaux de brioches enveloppé dans de l’essuie-tout (de quoi me faire un bon casse-croûte si mon estomac se manifestait encore).
Je savais très bien ce que j’allais trouver en rentrant : ma mère totalement choutée dans le petit fauteuil en cuir de papa ; la bibliothèque pleine de bouquins de cuisine ; Mitzi, notre chatte, postée devant sa chatière attendant patiemment le retour de mon père et ce salon désespérément vide où les portraits familiaux avaient tous été décroché parce que ça nous faisait encore mal rien que d’apercevoir son visage.
La maison que nous occupions se vidait progressivement. Il n’y avait plus rien dans le frigo ni dans le garde-manger parce que maman n’allait plus bosser ; elle restait prostrée dans le vieux fauteuil en cuir et attendait que passe les jours, livide, muette.
Je ne voulais pas y retourner. Je ne voulais pas car la plaie n’avait pas été nettoyée à fond ; elle me démangeait encore.
Je m’étais donc réfugié dans cette gare routière abandonnée pour m’éviter de souffrir davantage. Généralement, pour ne pas dire tous les jours, j’étais réveillé par le bruit du camion des éboueurs.
Je me démerdais plutôt bien les après-midi. Le problème c’était pour manger à midi et le soir. Et il était hors de question que je remette les pieds là-bas.
Le directeur d’une grande chaîne de fast-food – inutile de la nommer, nous pensons tous à la même – avait cru bon de s’implanter à quelques mètres de là. Quelle chance pour moi puisque ça m’a permis de goûter des choses que je ne voyais que sur les affiches de publicités lorsque j’étais ado : hamburgers, frites, beignets de poulet, sauce ketchup, sauce barbecue. Mon père avait ça en horreur. Il ne supportait pas de savoir que les gens se précipitaient pour se goinfrer de toute cette mauvaise nourriture.
Un cousin avait travaillé chez eux une courte période et m’avait tout expliqué : avec quelle rapidité ils emballaient les produits et à quelle vitesse ils se débarrassaient des sandwichs qui n’étaient « plus vendables ». Car là-bas, les produits sont timés : au bout d’un certain temps – entre cinq et sept minutes – les produits sont sortis puis balancés dans de grands sacs poubelles qu’ils s’empressent d’entasser à côté de leurs containers à ordures.
Après le rush de midi, l’amoncellement de ces sacs ressemblait vite à une montagne. Je m’approchais doucement du Mont Ordure, prenant garde de ne pas attirer l’attention sur moi. Arrivé à mi-distance, je me cachais derrière la cabine – l’endroit où les commandes du drive étaient prises – puis je continuais, à pas de loup. Une fois la place forte conquise, j’ouvrais les sacs et m’emparais du trésor. Parfois il n’y avait que des burgers. Si la chance me souriait, il y avait des frites. La plupart du temps, le fond du sac collait de partout, maculé de milk-shake vanille dont l’odeur rance donne envie de vomir.
Je vous avouerais que ma première bouchée de burger ne m’a pas laissé un grand souvenir ; et pour cause puisque j’ai tout recraché. Papa m’avait mis en garde et ne s’était pas trompé. Il m’a fallu un petit temps d’adaptation. Au bout d’une semaine, je ne pouvais plus m’en passer, comme une drogue.
Qu’est-ce qui me poussait à faire ça ?
Disons que lorsque mon père était encore en vie, la seule et unique chose qu’il ait réussi à m’inculquer était le plaisir de la bonne cuisine. Tous les mercredi soir, au lieu des contes habituels, il me passait en revu deux ou trois recettes du Petit Péret gourmand (ou PPG) ; un bouquin qu’il gardait même sur sa table de chevet. Issu d’un milieu modeste, pour ne pas dire pauvre, les sorties au restaurant se faisaient rares. Maintenant que j’y repense, je crois même que nous n’y sommes jamais allés. C’est donc dans notre propre cuisine que j’ai fais mon apprentissage gastronomique ; avec papa aux fourneaux. Ma mère nous regardait, béate, parfois moqueuse. La seule et unique fois où mon père l’a laissé goûté à l’une de nos recettes, elle s’est tournée vers nous et a pesté : « C’est salé comme le Diable ! ». Comme si le Diable avait un goût.
Amateur de vin (et de bon vin), ce dernier m’a initié plutôt rapidement à l’œnologie, qu’il considérait comme un art : ou du moins il goûtait et je regardais. Son seul regret fut de ne jamais avoir eut l’occasion de vivre sa passion jusqu’au bout. Le malheureux est mort d’une cirrhose il y a deux mois. Son décès prématuré a laissé ma mère dans un sale état. Je pense que ça a déclenché chez elle une nouvelle source d’angoisse et que c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle s’est mise à planer au-dessus de la vie au lieu de la vivre.
Aux alentours de sept ou huit heures du soir, je commençais à avoir les crocs, comme dirait l’autre. J’avais si faim que j’aurais pu engloutir des dizaines de petits rougets en papillotes (page 124 du PPG), des centaines de poulets au piment et patates douces (page 216 du PPG) et des milliers de tarte aux fraises des bois (page 446 du PPG). Mais comment j’aurais bien pu faire sans le plus petit sou en poche ?
J’ai fais comme les autres fois : j’ai rusé.
À quelques minutes de la fermeture, les poissonniers et les traiteurs des grandes surfaces bradaient leurs prix. Pour moi, ça ne changeait pas grand chose. Cependant, après la fermeture officielle du magasin – vers vingt et une heure – les traiteurs jetaient des cartons remplis de saucisson, de jambon, de saucisses fumées. Quant aux poissonniers, ils faisaient de même. Je n’avais alors plus qu’à récupérer les dits paquets (cadeaux) et à me régaler. À l’aide d’un réchaud et d’une petite casserole – chipés dans une des beines à ordures de la déchetterie municipale – j’arrivais, tant bien que mal, à me concocter un festin de roi. Bien sûr, ça n’avait ni l’aspect ni le goût des plats que Pierre Péret mitonnait mais je m’en accommodais bien ; surtout lorsqu’il faisait froid.
Je commençais progressivement à perdre espoir : je voyais mon rêve de déjeuner et de dîner dans les restaurants les plus courus de toute la Capitale se tirer par la fenêtre. Il fallait que je réagisse et vite si je ne voulais sortir de mon circuit. Et c’est encore par hasard – au détour d’une corbeille à papier – que j’ai prit connaissance du mariage de je-ne-sais-plus-quel-couple et de son plantureux banquet qui serait célébré dans une salle à deux pas du centre. J’ai enfilé mon beau smoking et je me suis tout naturellement incrusté. Tout le monde était bien sapé. Tout le monde picolait. Et tout le monde avait l’air de se régaler. Ou du moins, c’est l’impression que j’ai eu.
Les premières minutes, personne n’avait remarqué ma présence : je me fondais dans la masse. Je faisais parti de la fête. Mais au moment où j’ai tendu le bras pour saisir une flûte à champagne, une main puissante m’a stoppé net. Je ne l’ai pas calculé au départ. J’ai continué mon geste et son étreinte s’est raffermie ; le type me serrait si fermement le bras que j’ai senti qu’il s’engourdissait.
« T’es qui, toi ? », il m’a dit, déjà énervé.
Je n’ai pas eu le temps de répliquer que j’étais déjà dehors, les fesses dans une flaque d’eau et le visage plein de sang.
« Et t’avises plus de rentrer, sinon… », qui me dit, prêt à me balancer un autre marron.
Je n’ai pas bien suivi le cour des évènements mais ce que je sais c’est que j’ai eu sacrément mal au nez. Affamé et affaiblit, j’ai longé l’avenue principale ; le chemin le plus rapide pour rentrer dans mon nouveau chez moi. Sur le chemin, j’ai croisé une ambulance. Elle s’est arrêtée et m’a demandé si j’allais bien. J’ai rien pu répondre et je me suis écroulé sur le macadam humide.
Ils m’ont conduit aux urgences puis confié à un jeune infirmier à la calvitie prononcée. Ce dernier m’a installé dans une chambre et apporté un plateau repas : une salade non assaisonnée, un morceau de camembert trop mou et de la gelée de mûre pour le dessert. J’ai tout laissé. J’ai rien pu avaler. Malgré la douleur, je me suis tout de même endormi en ayant à l’esprit : « c’est vrai ce qu’on dit, la bouffe de l’hosto est dégueulasse ! ».
Le lendemain matin, après une courte nuit dans un vrai lit, j’ai rencontré le toubib. Il m’a dit que mon nez n’avait rien et qu’il avait juste enflé à cause du choc. Il n’a rien dit de plus. J’ai prit une douche et quand je suis sorti, une infirmière m’attendait, les bras croisés et l’air grave.
« Habillez-vous ! », m’a-t-elle dit. « Il y a d’autres personnes bien plus malades que vous qui attendent qu’un lit se libère. Alors dépêchez-vous ! ». Elle m’agressait verbalement ; presque physiquement.
Soudain, quelque chose a fait clic dans ma tête : il n’y avait qu’un seul endroit qui où je n’avais pas fait escale.
Les mots de l’infirmière me revenaient alors en mémoire. Je me suis dit qu’avec un coussin sur le visage, ça serait rapide. La porte de la chambre s’est refermée, j’ai chopé le premier coussin que j’ai pu trouver, je l’ai immobilisé sur le lit et je l’ai étouffé sans ménagement. Elle a essayé de me donner des gifles, de me griffer le visage mais j’étais bien plus fort. Elle gesticulait encore lorsque j’ai appuyé sur la poignée d’urgence.
Après m’être assuré de sa mort, je suis resté planté devant la porte et je me suis balancé d’avant en arrière en attendant que quelqu’un vienne ; pour leur faire croire que j’étais cinglé. J’ai bavé un peu pour ajouter du réalisme.
Vous m’excuserez mais je suis attendu. Oui, tous les soirs, au même endroit, depuis presque une semaine. Les murs sont tous peints de la même couleur et les chambres sont serrées. Mais il y a bonne raison pour que je laisse ces personnes me traitaient comme un prisonnier : la bouffe qu’ils servent est excellente. C’est marrant parce qu’à part les matons postés à chaque rangées de table et les fringues ridicules qu’ils nous obligent à mettre, on se croirait à la cantoche du bahut. Je pense même que je vais l’inscrire dans mon propre guide culinaire.
J'attends vos critiques !!!
Jérémy