The Tommyknockers date de 1987 (pour la publication), et King a travaillé dessus durant plusieurs périodes, y revenant de façon assez irrégulière durant cette époque troublée où l'inspiration lui faisait gravement défaut, principalement à cause de l'alcool et des drogues dont il abusait. C'est un roman très ambitieux mais clairement écrit en de nombreuses étapes, tant le fil narratif est décousu, morcelé, fait de bric et de brocs... King semble être allé pêcher selon l'envie du moment dans ses souvenirs de science fiction des années 50-60, les weird tales, la Quatrième Dimension etc.
Le personnage de Jim Gardener correspond parfaitement à l'individu qu'était King à cette époque : un écrivain brillant détruisant sa vie et son talent dans l'excès et le j'men foutisme, un homme qui ne se cherchait pas d'excuse et qui savait très bien que l'alcool était en train de le bouffer mais qui ne tenait pour rien au monde à s'en sortir (King est allé jusqu'à se torcher au bain de bouche alcoolisé quand il n'y avait plus rien dans le frigo...) Les Tommyknockers est finalement un roman intéressant, dans la mesure où il nous donne un bon aperçu de ce qu'était la pensée de King dans le milieu des années 80 : cynique, voire même nihiliste, obsédé par la possession (qu'elle soit surnaturelle ou... éthylique), égoïste et orgueilleux, mais fondamentalement bon et empathique, mais hélas prisonnier de sa dépendance. (C'est à la même période qu'il crée le personnage d'Eddie Dean, Sage et Emminent Junkie comme chacun sait !)
Désolation arrive bien plus tard, en 1996, dans une optique très différente : King est au sommet absolu de son succès (voir la tournée triomphale de Insomnie, la médiatisation de la Ligne Verte en feuilleton...), il est définitivement guéri de l'alcool (si tant est qu'on puisse l'être, les alcooliques vous diront que l'envie de boire ne vous quitte plus jamais) et sa vie personnelle et familiale est au beau fixe. Désolation, c'est le roman bourgeois de la destruction et de la sauvagerie, liée à l'existence d'un Dieu chrétien cruel qui observe les hommes et les soumets à ses épreuves. Le récit est très sombre, violent, il met en scène des enfants dans des situations limites, le tout étant agrémenté de l'imagerie mythique du serpent, du rat, du loup et du scorpion, animaux rampants et redoutables, hautement symboliques dans un récit à forte consonnance religieuse.
Johnny Marinville est à nouveau le double fictif de King (Désolation étant en outre une brillante réflexion sur le double imaginaire ou réel, comme le signale sa relation avec Les Régulateurs et Richard Bachman.) Mais c'est un double bien plus positif : il a l'âge de King au moment de l'écriture, qui se représente lui-même tel qu'il était lors de sa tournée à moto pour la promotion de Insomnie (période à laquelle lui est d'ailleurs venue l'idée de Désolation.) Marinville est rustre, fatigué, légèrement cynique, mais il est en quête de rédemption, davantage littéraire que spirituelle : là ou Gardener gaspillait son talent en le noyant dans l'alcool, Marinville tente de s'en extirper, de retrouver son inspiration. Paradoxalement, ou ironiquement, c'est alors qu'il vit une aventure folle digne de donner lieu à un superbe roman qu'il meurt avant de pouvoir l'écrire... les happy-end de King ne sont jamais aussi évidents qu'ils semblent l'être, et il faut toujours y chercher la pointe de désespoir... ou de désolation.